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Hypothèse

Une révolution numérique est en cours, qui bouleverse profondément notre rapport au monde. Elle affecte notre relation au temps et à l’espace, notre relation au savoir et à l’information, nos relations sociales, politiques et économiques depuis notre propre individualité jusqu’à l’humanité tout entière. Fatalistes ou utopistes, technobéats ou technophobes, l’omniprésence des technologies numériques nous condamne à inventer un nouveau rapport au monde, à tisser un lien inédit entre nous et les objets qui nous entourent.

Parcourant un chemin vagabond du design au hacking, traversant la question du langage et du signe, de l’assemblage, de la réappropriation jusqu’au do-it-yourself et au net-art, cet article a comme ambition de visiter les questions posées par la notion de bricolage, d’en dessiner des contours, essayant de saisir ce qu’elle peut nous dire des pratiques de l’art et du design, et d’approcher son actualité dans le champ des pratiques numériques.

Point de départ

La pensée sauvage de Claude Lévi-Strauss est un texte majeur de l’anthropologie moderne qui a manifesté son influence sur l’ensemble des sciences humaines et sociales. Lévi-Strauss y conteste la thèse selon laquelle le rapport au monde des primitifs, la « pensée mythique » des sociétés pré-industrielles, serait une étape intermédiaire dans l’évolution de la pensée scientifique, une étape intermédiaire entre une préhension du réel emprisonnée par sa matérialité et une pensée abstraite, rationnelle et scientifique. En introduisant la métaphore du bricolage, il propose un cadre théorique permettant d’éclairer d’un jour nouveau la distinction traditionnelle entre pensée et action, et il ouvre un espace de réflexion précieux pour appréhender les pratiques de l’art et du design, qui se situent précisément au cœur de cet espace, entre pensée et action.

« Le bricoleur est apte à exécuter un grand nombre de tâches diversifiées ; mais, à la différence de l’ingénieur, il ne subordonne pas chacune d’elles à l’obtention de matières premières et d’outils, conçus et procurés à la mesure de son projet : son univers instrumental est clos, et la règle de son enjeu est de toujours s’arranger avec les ‹ moyens du bord ›, c’est-à-dire un ensemble à chaque instant fini d’outils et de matériaux, hétéroclites au surplus, parce que la composition de l’ensemble n’est pas en rapport avec le projet du moment, ni d’ailleurs avec aucun projet particulier, mais est le résultat contingent de toutes les occasions qui se sont présentées de renouveler ou d’enrichir le stock, ou de l’entretenir avec les résidus de constructions et de destructions antérieures » Claude Lévi-Strauss, La pensée sauvage

Saisir

Saisir

Entomologiste du réel ordinaire, le bricoleur procède par l’observation, l’indexation, l’archivage, le tri, le classement. La pensée sauvage est d’abord une connaissance objective, elle se fonde sur une méthode d’appréhension du réel qui est à la fois expérience et classification. En les expérimentant, en les manipulant, le bricoleur structure et organise les objets et concepts qu’il rencontre dans un inventaire qui lui permettra ultérieurement de se saisir de « ce qui peut servir1 ».

Lévi-Strauss soutient que la pensée sauvage obéit à une logique propre, qu’elle a une visée expressément scientifique, bien que se manifestant d’une autre manière que celle que, seule, nous présupposons être rationnelle et scientifique. Cette pensée n’est pas uniquement utilitaire ; elle « répond à des exigences intellectuelles, avant, ou au lieu, de satisfaire à des besoins2 ». La pensée sauvage étudie son environnement de manière systématique, et y distingue les éléments qui le composent en examinant leurs similitudes et leurs différences. Elle établit un rapport au monde fondé sur une structuration du désordre. Elle cherche à codifier et à classer, en établissant des analogies, des rapprochements. Tout classement, même le plus hétéroclite en apparence est supérieur au chaos ; il permet de transformer en richesse mobilisable la diversité d’un inventaire. L’utilité potentielle de l’objet ne peut advenir que par sa connaissance préalable ; ce n’est que rétrospectivement qu’un objet pourra acquérir une valeur spécifique, adaptée au projet. Le bricolage consiste d’abord en un rapport critique au monde, une curiosité construite.

Le bricoleur et l’ingénieur (ou « l’homme de l’art », ou « le savant ») sont les deux figures opposées de la métaphore de Lévi-Strauss. Quand l’ingénieur convoque les moyens nécessaires à la réalisation de son projet, le bricoleur redéfinit ceux dont il est déjà possesseur.

Au sein de cet ensemble fini que sont les « moyens du bord », son « stock », le bricoleur accomplit des manipulations qui vont lui permettre d’engager des processus de permutation, faisant d’un objet tantôt une fin tantôt un moyen, utilisant son signifiant comme son signifié, élargissant ainsi sa capacité d’interaction avec ces objets. « Ce sont des opérateurs, mais utilisables en vue d’opérations quelconques au sein d’un type3 ».

Ses gestes s’effectuent à partir d’un inventaire d’éléments qui ne sont que partiellement définis, à la fois abstraits et concrets. Ces objets n’ont pourtant pas une plasticité infinie, ils convoquent un sens, issu de leur usage initial et de l’expérience intellectuelle et pratique qu’en a le bricoleur. Mais ce sens est versatile, protéiforme. Le bricoleur établit un dialogue avec ce sens, lui préserve une part d’indéfini qui lui permettra d’être déplacé, réinventé en fonction des nécessités du projet et de son propre désir. Il considère les choses non seulement pour ce qu’elles sont, mais aussi pour ce qu’elles peuvent être. À l’opposé de l’ingénieur, capable de rassembler les moyens nécessaires à la réalisation de son projet, le bricoleur est condamné à faire avec ce dont il dispose. Il est amené à établir des compromis, qui introduiront fatalement un décalage entre le projet initial et sa réalisation finale. Mais cette fatalité n’est pas tragique ; c’est dans ce décalage même que réside une des satisfactions singulières du bricoleur, cette part de subjectivité qui constitue le lien entre les matériaux rassemblés : « Sans jamais remplir son projet, le bricoleur y met toujours quelque chose de soi.4 ».

Ruser

Ruser

Dans l’Invention du quotidien, Michel de Certeau étend la portée de la métaphore proposée par Lévi-Strauss à l’ensemble des activités quotidiennes. À travers ces activités, dit-il, « à la manière des indiens, les usagers ‹ bricolent › avec et dans l’économie culturelle dominante, les innombrables et infinitésimales métamorphoses de sa loi en celle de leurs intérêts et de leurs règles propres5 ». Certeau nous présente un « homme ordinaire » qui combine et recombine les injonctions sociales, culturelles ou économiques.

Jouant et déjouant les règles sociales et économiques, braconnant dans « l’obscur entrelacs des conduites journalières », muni d’identités éphémères, instables et volatiles, il n’échappe pas à la société de consommation et accepte souvent d’en être le jouet mais par le biais d’une appropriation de ses règles. Par l’usage qui en est fait, l’objet dominant – qu’il soit matériel, culturel ou symbolique – est subrepticement détourné. Certeau substitue au terme de consommateurs (dont il note qu’il est une variante pudique de celui de « dominés ») celui d’« usager ». Cette attention portée à l’usage met en évidence une distance, une marge de manœuvre, un espace de liberté que l’individu investit pour disposer des produits selon une logique qui n’est pas nécessairement soumise aux injonctions du système : « le consommateur ne saurait être identifié ou qualifié d’après les produits journalistiques ou commerciaux qu’il assimile : entre lui (qui s’en sert) et ces produits (indice de ‹ l’ordre › qui lui est imposé), il y a l’écart plus ou moins grand de l’usage qu’il en fait6 ».

Quand il évoque les tactiques que l’usager met en œuvre dans son rapport au monde, Michel de Certeau fait référence au travail de Marcel Detienne et Jean-Pierre Vernant, la mètis des Grecs : la mètis est une forme d’intelligence pratique qui se distingue de l’intelligence du philosophe, basée sur le logos (l’intelligence mathématique, la pensée théorique, démonstrative, essentialiste ou abstraite). Elle est faite de « comportements intellectuels qui combinent le flair, la sagacité, la prévision, la souplesse d’esprit, la feinte, la débrouillardise, l’attention vigilante, le sens de l’opportunité, des habiletés diverses, une expérience longuement acquise ; elle s’applique à des réalités fugaces, mouvantes, déconcertantes et ambiguës, qui ne se prêtent ni à la mesure précise, ni au calcul exact, ni au raisonnement rigoureux7 ».

Dans son étude des arts de faire, Certeau distingue les stratégies de l’ingénieur des tactiques du bricoleur. La stratégie est un calcul des rapports de forces qui implique un pouvoir et une volonté ; c’est le « geste de la modernité scientifique, politique ou militaire8 ». La tactique, à l’inverse suppose l’absence de pouvoir, elle « n’a pour lieu que celui de l’autre9 ». Elle joue sur un terrain qui n’est pas le sien et ne peut se tenir à distance ou en retrait. Elle est un art du kairos10 : elle saisit les opportunités lorsqu’elles se présentent, scrute les failles intermittentes dans la surveillance pour s’y infiltrer. Si la stratégie « produit, quadrille et impose », la tactique « utilise, manipule et détourne ». Tel Renart face à Ysengrin, le bricoleur joue des « tours du ‹ faible › dans l’ordre établi par le ‹ fort ›11 ».

Cuisiner
« Si on bricolait plus souvent, on aurait moins la tête aux bêtises » — Dialogue de Michel Audiard dans Les Tontons flingueurs de Georges Lautner (1963)

Cuisiner

Le bricoleur « parle et pense avec les choses mais aussi à travers elles ». Poursuivant l’analogie avec le langage, on peut dire qu’à partir d’un vocabulaire reçu, il produit une phrase dont la syntaxe et la grammaire sont le résultat d’une appropriation personnelle de la langue.

« Déchiffrer les signes du monde, cela veut toujours dire lutter avec une certaine innocence des objets. […] Un vêtement, une automobile, un plat cuisiné […], voilà en apparence des objets bien hétéroclites. Que peuvent-ils avoir en commun ? Au moins ceci : ce sont tous des signes. [Ils supposent] tous une même activité, qui est celle d’une certaine lecture : l’homme moderne, l’homme des villes, passe son temps à lire.12 »

Le bricoleur, selon le mot de Barthes, produit une « cuisine du sens », il fait son marché, à l’affût des signes du monde, prêt à en saisir la saveur, capable d’en faire émerger les usages possibles, apte à les modeler en fonction de ses intérêts et de leurs potentialités. Il devient ainsi capable de s’approprier des objets déjà cuisinés. « Le bricoleur s’adresse à une collection de résidus d’ouvrages humains, c’est à dire à un sous-ensemble de la culture13 ».

Jacques Derrida applique la métaphore du bricolage à l’ensemble du discours : « Si l’on appelle bricolage la nécessité d’emprunter ses concepts au texte d’un héritage plus ou moins cohérent ou ruiné, on doit dire que tout discours est bricoleur ». Derrida étend ainsi à l’infini la sphère du bricolage, proposant que toute activité discursive est un bricolage, un jeu. « Le jeu est un champ de substitutions infinies qui, dans la clôture d’un ensemble fini, exclut la totalisation14 ».

Là où l’écrivain, tel l’ingénieur, « interroge l’univers15 », le critique interroge la littérature, un univers constitué de signes déjà assemblés. Ces signes que l’écrivain aura tiré de l’univers infini du langage, le critique les transforme en sens. Il opère des permutations, qui produisent du sens à partir des résidus de l’œuvre de l’écrivain, tout en produisant une œuvre avec le sens de ces résidus : « les signifiés se changent en signifiants, et inversement16 ».

Roland Barthes conclut ainsi sa leçon inaugurale au Collège de France : « Nous qui ne sommes ni des chevaliers de la foi ni des surhommes, il ne nous reste, si je puis dire, qu’à tricher avec la langue, qu’à tricher la langue. Cette tricherie salutaire, cette esquive, ce leurre magnifique, qui permet d’entendre la langue hors pouvoir, dans la splendeur d’une révolution permanente du langage, je l’appelle pour ma part : littérature17 ». Le designer Vincent Perrottet, dans un texte manifeste, y ajoute « Ce qui me plaît dans ce texte, c’est que si l’on associe au mot langage le mot graphique et que la langue est aussi le signe, alors je sais exactement ce que j’ai à faire, et cela, moi je l’appelle de l’art graphique18 ».

Cette tricherie, ce jeu du langage, cette cuisine du sens et des signes, c’est le geste du bricoleur qui se saisit des règles et se les approprie pour en « faire sa sauce ».

S’approprier

« Il ne faut pas chercher si une idée est juste ou vraie. Il faudrait chercher une tout autre idée, ailleurs, dans un autre domaine, telle qu’entre les deux quelque chose passe, qui n’est ni dans l’une, ni dans l’autre. Or, cette autre idée, on ne la trouve pas tout seul généralement, il faut un hasard, ou que quelqu’un vous la donne. Il ne faut pas être savant, savoir ou connaître tel domaine, mais apprendre ceci ou cela dans des domaines très différents. C’est mieux que le « cut-up ». C’est plutôt un procédé de « pick-me-up », de « pick-up » – dans le dictionnaire : ramassage, occasion, reprise de moteur, captage d’ondes ; et puis sens sexuel du mot  » Gilles Deleuze & Claire Parnet, Dialogues,
Paris, Flammarion, 1977

S’approprier

L’un des plus grands bouleversements artistiques du XXe siècle est sans conteste le geste de Marcel Duchamp lorsqu’il expose sa Roue de bicyclette, assemblage d’une roue fixée par sa fourche sur un tabouret en bois. « L’invention du ready-made représente un point de basculement de l’histoire de l’art, dont la postérité est colossale. À partir de ce geste limite, qui consiste à présenter en tant qu’œuvre d’art un objet de consommation courante, c’est tout le champ lexical des arts plastiques qui se trouve ‹ augmenté › de cette nouvelle possibilité : signifier non pas à l’aide d’un signe mais à l’aide de la réalité elle-même19 ». Il s’agit à nouveau de parler à travers les choses.

Depuis Duchamp, Dada, les collages et constructions cubistes, les objets surréalistes, Oldenburg ou Spoeri et jusqu’à Claude Closky ou Sarah Sze, l’appropriation du banal, du déchet, de l’anodin ou de l’art lui-même est un exercice de braconnage du signe « déjà cuisiné » dont l’art est coutumier. Il devient alors un art de l’assemblage et du détournement qui ne s’attache pas seulement aux objets mais également aux systèmes : « À la place des clous et de la colle, le bricoleur conceptuel utilise les mots et la documentation dans des travaux qui privilégient le processus, la performance et le langage par rapport à l’objet20 ».

Dans le premier numéro de sa revue, paru en 1958, l’Internationale Situationniste donne cette définition du détournement : « S’emploie par abréviation de la formule : détournement d’éléments esthétiques préfabriqués. Intégration de productions actuelles ou passées des arts dans une construction supérieure du milieu. Dans ce sens il ne peut y avoir de peinture ou de musique situationniste, mais un usage situationniste de ces moyens. Dans un sens plus primitif, le détournement à l’intérieur des sphères culturelles anciennes est une méthode de propagande, qui témoigne de l’usure et de la perte d’importance de ces sphères. »

Bris-collage, le détournement est pour les situationnistes un des modes privilégiés de dynamitage du langage, un attentat sémiotique, une réappropriation, un retournement.

Les pratiques de bricolage cinématographique des situationnistes (La Société du spectacle de Guy Debord, ou La Dialectique peut-elle casser des briques ? de René Viénet) vont trouver une continuité dans les pratiques vidéos liées au found footage, dans lesquelles des fragments vidéos sont recyclés, réemployés selon des principes de collage, de montage et de sampling visuel. Pour Craig Baldwin, il s’agit de « passer au crible les débris laissés par les producteurs des grandes sociétés et de construire un ‹ bricolage › ludique et ingénieux qui réinvestit l’ancien matériau de nouvelles significations critiques21 ».

« You can’t steal a gift. If you can hear it, you can have it » disait Dizzy Gillespie, en parlant de la musique de Charlie Parker. S’il est une forme de bricolage appropriationniste évidente, c’est bien celle du sampling sonore : citations, collages, hommages, mashup, remix, reprises… depuis l’apparition des machines électroniques, de nombreux compositeurs, musiciens et DJ ont utilisé l’échantillonnage comme une pratique de bricolage sonore. L’Expérience acoustique22 de François Bayle, revisite la musique concrète à travers un travail de modelage d’une matière sonore issue du champ musical (Mozart, Zappa, Hendrix) autant que d’enregistrements de rue (Mai 68…). Christian Marclay, musicien et plasticien suisse, qui fut un des pionniers de l’usage des platines vinyles à des fins de collage sonore, a également développé cette pratique dans le champ de la vidéo (The Clock, œuvre monumentale orchestrant des milliers d’extraits vidéo en provenance de toute l’histoire du cinéma et de la télévision) ou dans ses pratiques de collages graphiques. John Oswald, dans son projet Plunderphonics, fait un usage quasi exclusif de samples (les Beatles, Stravinski, Michaël Jackson). Cette pratique est également une caractéristique fondamentale du hip hop, qui détourne et cherche à corrompre les objets de sa consommation (musique, images, vêtements). « Il s’agit moins d’acheter un produit, que de chercher des choses pouvant prendre place dans une autre construction. Il s’agit, pour le musicien qui se réclame de ce mouvement, de chercher le point d’instrumentalité (là où ‹ ça peut servir ›) voire le point de ludicité (là où cela peut devenir jeu) de ce qui s’offre à l’échange23 ».

Apparu pour la première fois dans un album du groupe californien Negativland – célèbre pour son album U2, qui samplait et parodiait un titre du groupe irlandais – le terme de Cultural Jamming recouvre un ensemble de pratiques de « piratage des médias, de guerre de l’information, de terrorisme artistique, et de guerilla sémiotique24 » allant du détournement d’affiches publicitaires d’Adbusters ou du Billboard Liberation Front, aux canulars médiatiques des Yes Men ou de Luther Blisset. Avec comme racines historiques les samizdat russes, les photomontages anti-fascistes de John Heartfield, l’Internationale situationniste ou les communautés hippies et cybernétiques telles les Merry Pranksters de Ken Kesey, ces pratiques d’appropriation et de détournement inscrivent le bricolage dans le champ de la contestation politique et culturelle, dans une lutte pour la réappropriation des signes et du sens.

Résister

bien fait
= mal fait
= pas fait Robert Filliou, Principe d’équivalence, 1968

Résister

« Ce qui m’intéresse, c’est cette ambiguïté : suis-je manipulé par les signes ou suis-je manipulateur de signes ? 25 » La propension d’un individu à bricoler, à manipuler son environnement selon les modes de l’appropriation et de l’usage, ou à l’opposé à être manipulé par lui est une question centrale du bricolage. L’espace « entre-deux » ainsi déplié est celui d’une médiation, d’un conflit, qui est au cœur de l’étude des liens entre culture et domination sociale.

Pour éclairer notre propos, faisons un détour, nécessairement vagabond et braconneur, parmi quelques grandes figures qui se sont consacrés à cette question.

Le développement des médias dans l’entre-deux guerres amène l’avénement d’une culture de masse, qui tend à uniformiser les modes de vie et à asseoir la domination d’une logique économique. Dans leurs analyses des industries culturelles, Theodor Adorno, Max Horkheimer ou Herbert Marcuse montrent comment le libéralisme de la société démocratique contemporaine assimile et intègre les oppositions qui lui sont faites par un contrôle des individus, à qui elle propose une illusion d’abondance et de liberté. La pérennité de la logique du système est assurée par une domination rationalisée sur les plans économique, politique et culturel : elle s’assure une maîtrise des besoins à travers les médias et le travail, elle lisse la perception des différences sociales et elle opère une « stérilisation » esthétique26. C’est de cette culture unidimensionnelle et de ses icônes que s’empareront les artistes du pop. C’est dans ce spectacle que l’Internationale Situationniste essaiera de créer des brèches propres à la dynamiter de l’intérieur. C’est pour lutter contre cette désactivation du sens, cette anesthésie du potentiel vital de la culture et de l’art que Fluxus allait repousser ses frontières jusqu’à vouloir le fondre dans la vie.

Robert Filliou s’oppose ainsi à ce qu’il appelle « l’économie de la prostitution », en inventant un « principe d’économie poétique ». Bricoleur « génial et sans talent » ses œuvres sont précaires, fragiles et volontiers ludiques, faites de bouts de ficelle, de carton, de fil de fer, d’objets récupérés ou détournés. Dans Permanent Creation Tool Box, créée en 1969, il propose une caisse à outils de laquelle débordent des pièces de bois de tailles diverses, reliées les unes aux autres par des crochets métalliques. Chaque pièce de bois est unique par ses irrégularités, mais chacune peut potentiellement se relier à toutes les autres par son crochet.27

Le brouillage des frontières mené par Fluxus opère aussi dans le champ du pouvoir. C’est ce que montre Michel Foucault, qui met en lumière le changement de l’échelle d’un pouvoir institutionnel, centralisé, localisable vers des micro-mécanismes de contrôle que produit un système diffus de la surveillance et de la répression. Il énonce alors l’idée d’un biopouvoir qui s’exerce à la fois sur la société dans son ensemble et sur l’individu en particulier (jusqu’à son corps-même : sa sexualité, son alimentation…) au moyen du puissant outil de la norme.

À la suite de Foucault, Giorgio Agamben précise la notion de dispositif : « tout ce qui a, d’une manière ou d’une autre, la capacité de capturer, d’orienter, de déterminer, d’intercepter, de modeler, de contrôler et d’assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants28 ». Revenant à l’étymologie théologique du dispositif, issue de la traduction en latin – dispositio – de l’oikonomia grecque, apparue dans les premiers siècles de l’Église pour dissocier l’être divin de son action, l’ontologie de la praxis, il montre que les dispositifs sont un tissu complexe « de praxis, de savoirs, de mesures, d’institutions dont le but est de gérer, de gouverner, de contrôler et d’orienter – en un sens qui se veut utile – les comportements, les gestes et les pensées des hommes29 ».

Face à ces dispositifs : les êtres vivants (« substances »). Et dans l’entre-deux, comme lien, un processus de subjectivation, devenu dans le monde moderne une désubjectivation. Constatant la démultiplication infinie des dispositifs et le développement tout aussi infini de ces désubjectivations, Agamben en appelle à une profanation de ces dispositifs, une lutte contre l’aliénation qui les accompagne pour les restituer à l’usage commun.

L’extension du domaine du bricolage proposée par Michel de Certeau, en montrant comment l’usage du monde peut transformer un consommateur dominé en acteur braconneur, est venue contester et nuancer la perception du rapport de force entre la culture dominante et l’individu30. Sa pensée est également le reflet d’un monde post-moderne qui s’est éloigné des utopies et des modèles passés de la contestation – les avants-gardes, le mythe révolutionnaire –, qui a pris acte des processus d’individualisation à l’œuvre depuis les années 60, pour entrer dans une pratique du jeu comme mode alternatif de résistance à l’aliénation. Faite de tactiques, de ruses cette résistance est aussi celle de l’inertie, de l’entêtement, de la passivité. Danse souple et insaisissable de phasmes contrebandiers, elle surgit dans l’infra-mince, et à recours à la mètis autant qu’à la récalcitrance.

Certeau montre qu’il existe un usage de l’espace par la marche comme il existe un usage de la langue par la parole. Tous deux sont des appropriations subtiles, des résistances infimes à leur ordre. Le travail de Francis Alÿs est exemplaire de cette résistance déplacée dans le champ de l’infime poétique. « Quand j’ai décidé de sortir du champ de l’architecture, mon premier mouvement fut de ne pas ajouter à la ville, mais davantage d’absorber ce qui était déjà là, de travailler avec les résidus, ou avec les espaces négatifs, les trous, les espaces entre-deux ». Alÿs investit ces espaces résiduels par une mobilité, une manière d’interroger le réel urbain et d’en faire émerger des singularités. Il emprunte l’anonymat du piéton, cet acte quotidien de la marche, qu’il déplace au minimum, élargissant une situation, modifiant sa signification.

De l’esthétique relationnelle de Nicolas Bourriaud31 à l’art interventionniste, les pratiques du bricolage dans l’art contemporain questionnent ces luttes, passées ou présentes. Thomas Hirschhorn qui revendique sa proximité avec Filliou, en jouant d’installations et de matériaux précaires, carton, scotch, stylo Bic ou pneus, se situe dans une esthétique de l’urgence politique et sociale, avec laquelle il rejoue des pratiques populaires (ses altars, autels dédiés au « culte » de ses « maîtres »), déplaçant le lieu de l’art (station de métro, musée précaire Albinet face à une barre d’immeubles de banlieue), convoquant philosophes, sociologues, poètes, musiciens et le public lui-même à participer à la construction de ces situations.

Peut-être plus en prise avec le réel, l’artiste slovène Marjetica Potrc32 explore les lieux où le bricolage est un geste de survie. Son travail s’articule sur une démarche à la fois créative et documentaire ; à partir de relevés d’architectures précaires, d’urbanisme de fortune, elle élabore des va-et-vient singuliers entre l’espace de l’exposition et les lieux mêmes où se bâtit une architecture spontanée, examinant les formes et les solutions inattendues proposées par l’inventivité des communautés locales.

Fabriquer

Dépositaire d’un projet défini par rapport à une commande, le designer fait siennes les considérations fonctionnelles, techniques, environnementales, biologiques, juridiques, économiques, sociales ou politiques de ce projet. C’est son rôle d’ingénieur. Mais il doit aussi endosser l’habit du bricoleur pour tordre les signes et le sens, les manipuler, jouer avec eux jusqu’à y déceler des failles, des fêlures, s’immiscer dans ces anfractuosités aménagées et enfin, dans leur épaisseur, les faire vibrer. Ces deux rôles qu’il endosse tour à tour ou simultanément le placent dans une tension entre stratégie et tactique. En paraphrasant Certeau : le designer « produit, quadrille et impose », tout comme il « utilise, manipule et détourne ».

Le 11 mai 1965 naît en France l’Association Nationale des Promoteurs du Faites-le-vous-même. En 1980, cette association de commerçants allait devenir Mr. Bricolage, l’un des grands groupes français de distribution de matériel de bricolage. Leroy-Merlin, Brico Dépôt ou Castorama permettent aujourd’hui aux particuliers d’accéder à des outils et des matériaux auparavant réservés aux artisans. Parallèlement à leurs activités de vente, ils accompagnent les velléités d’autonomisation des particuliers. Amenant une profonde remise en cause du rôle traditionnellement dévolu aux artisans (plombiers, peintres, carreleurs…) ils ont suivi l’éclosion des pratiques individuelles du bricolage, qu’elles répondent à des problématiques de subsistance (précarité, inaccessibilité des services professionnels), de résistance au capitalisme (réaction à l’obsolescence programmée, à la prolétarisation des savoirs) ou d’extension du pouvoir d’achat (le parquet flottant et l’écran plat).

Fabriquer

Au cœur de ces tactiques de résistance réside la problématique de l’autonomie individuelle, de la constitution d’un rapport au monde dans lequel existe un espace de subjectivation. De nombreux penseurs ont étudié la question de l’autonomie (autos / nomos : soi-même / loi) ; Héraclite, Auguste Comte, Cornelius Castoriadis, Ivan Illich ou Hakim Bey en sont des représentants aux accents fort différents.

Pour Castoriadis, le principe d’autonomie désigne la capacité des individus à se rendre maîtres de leurs institutions. Par institutions, il entend n’importe quel outil, système ou mécanisme ; les « formes de pensée, modes d’organisation, d’action » 33, et jusqu’à sa propre pensée. Il l’oppose à l’hétéronomie dans laquelle les individus sont face à une fatalité de la dépossession (les institutions, lois et principes qui gouvernent leurs actes sont ceux de l’autre, aliénants et inaccessibles).

Cette pensée politique, philosophique et économique de l’autonomie, qui redéfinit les relations entre l’homme, la société et la planète rejoint celle du bricolage certalien où elle trouve des échos concrets dans les pratiques du Do It Yourself (DIY), dont les développements les plus récents sont à l’œuvre dans les fablabs 34 (laboratoires de fabrication) et le mouvement maker. Tendu dans le « paradoxe du manque de moyens et du surplus de matières et de structures 35 » le DIY a dessiné au fil du temps de nouveaux modes de relation au monde qui se sont encore renouvelés dans l’avénement de la société de la connaissance.

Une des origines de ce mouvement se trouve dans la division en deux groupes de la contre-culture hippie : une frange urbaine, impliquée dans l’action politique et le combat pour les droits civiques et une branche plus mystique, plus artistique que directement politique, qui déserta San Francisco pour s’en aller fonder des communautés rurales. Loin de fuir la technologie, ce mouvement d’invention d’un nouvel individu s’appropria les travaux de Norbert Wiener (père de la cybernétique), de Marshall McLuhan ou de Richard Buckminster Fuller, intellectuels qui mettaient la technologie au cœur de la transformation culturelle et psychologique de la société.

C’est dans ce contexte que fut créé le Whole earth catalog 36, sous-titré Access to tools, merveilleux manuel de l’autosuffisance créative où se croisent dans une joyeuse cacophonie articles théoriques, reportages, astuces techniques, objets divers, bonnes affaires en tous genres… « Des kits pour tisser à domicile côtoient des reportages sur la science du plastique. Les flûtes en bambou partagent leur espace avec des livres sur la musique générée par ordinateur 37 » Pour Stewart Brand, son initiateur, ce catalogue est une « technologie intellectuelle ». Véritable objet frontière, le catalogue fut également une préfiguration d’un réseau ouvert et collaboratif permettant de faire se rejoindre les spécialités les plus variées. En 1985, associé à Larry Brilliant, Stewart Brand développe l’expérience du catalogue dans le WELL (Whole Earth ’Lectronic Link), réseau numérique et première communauté auto-gérée en ligne. Cette initiative contribuera à constituer l’imaginaire du cyberespace et des utopies électroniques en accueillant en son sein hackers, militants et pionniers de l’internet. Le terme de cyberespace fut forgé par l’auteur de science-fiction William Gibson, puis repris par John Perry Barlow, membre du WELL, fondateur de l’Electronic Frontier Foundation, et auteur en 1996 de la « déclaration d’indépendance du cyberespace »

Les chocs pétroliers, l’augmentation des inégalités sociales et l’arrivée du chômage de masse vont mettre à mal ces utopies technologiques, pour laisser la place à la désillusion rageuse du No Future du mouvement punk. Si l’on peut trouver des racines à ce mouvement dans les pratiques des avant-gardes artistiques (Dada, Fluxus, Provo, situationnistes), c’est dans les cultures populaires, au premier rang desquelles la musique, que va se matérialiser cette énergie.

C’est l’ouvrage Do it ! du yippie Jerry Rubin qui donne son nom à cette dimension du mouvement punk. Le mot d’ordre affirme une urgence de l’autonomie et de la créativité bricoleuse et subversive. Contre la technique, contre la spécialisation et le consumérisme, il dit : « Voici un accord, en voici un autre, formez votre groupe 38 » Au delà de sa musique, l’esthétique fulgurante qui naitra de cette approche marquera profondément l’imaginaire visuel contemporain. Un puissant univers graphique s’est développé à travers la culture des fanzines, certains renouvelant les assemblages visuels du futurisme, de Dada ou les détournements situationnistes (Suburban press de Jamie Reid), d’autres inventant un nouveau vocabulaire, issu des possibilités techniques de reproductions low-cost (Chainsaw, Cobalt hate) et d’une urgence de faire.

De nouvelles crises créent de nouvelles formes et de nouveaux usages du monde. La progression de la conscience des problématiques environnementales et du processus de mondialisation économique et financière s’est mêlée à l’apparition de l’informatique grand public et à une certaine « démocratisation » de l’accès à internet. La démultiplication infinie des objets technologiques numériques disponibles et l’impressionnante baisse tendancielle de leur coût d’achat a fait émerger une société de consommation électronique compulsive et irraisonnée, mais elle a également permis à des mouvements divergents de naître.

Enraciné dans la culture hacker, le premier fablab naît au Massachussets Institute of Technology (MIT) en 2001. Dédié à l’expérimentation électronique et informatique, il essaime rapidement jusqu’à atteindre 320 fablabs officiellement répertoriés39. Si une certaine culture technologique reste l’ingrédient fondateur de la plupart de ces lieux, leurs réalités sont aujourd’hui bien éloignées de l’image du repaire de geeks technophiles que l’on peut avoir. Développés sur tous les continents, porteurs de philosophies parfois très variées (tech-shops, hackerspaces, repair-cafés, cyberbases…) et bénéficiant de conditions techniques radicalement différentes, ces initiatives ont en commun une dimension collective et collaborative, une attention portée à l’environnement – recyclage, récupération, upcycling40, réparation –, une volonté d’appropriation des outils, une sensibilité à l’expérimentation concrète et au partage des expériences. Au sein de la communauté élargie du DIY, de nombreuses voix s’élèvent pour que le mouvement maker devienne avant tout un mouvement fixer. Réparer, plutôt que fabriquer. Dès 1955, l’économiste et analyste financier Victor Lebow écrivait « Nous avons besoin de consommer, de consumer, d’épuiser, de remplacer et de jeter des choses à un rythme de plus en plus rapide 41 » Soixante ans plus tard, l’évolution des techniques (toujours plus petit, toujours plus puissant, toujours moins réparable) nous somme de porter à nouveau notre regard sur la (relative) frugalité du bricoleur.

Au-delà, ou en deçà, des prouesses techniques que réalisent des mains expérimentées avec des outils tels que les micro (voire nano) processeurs, circuits imprimés, imprimantes 3D, découpeuses laser ou à plasma, il y est souvent fait usage de sèche-cheveux, de machines à coudre, de scotch ou de pièces de Meccano. Les « moyens du bord » y sont souvent de rigueur, mais là où le stock du bricoleur lévistraussien était limité par une société industrielle encore relativement sobre et un accès au savoir relativement limité, les nouveaux paradigmes de la société contemporaine ont profondément bouleversé la situation. Le déchet n’est pas un matériau rare ; il est même, par la grâce des pourvoyeurs d’obsolescence programmée, de plus en plus puissant techniquement et dans un bien meilleur état. Les déchetteries débordent de matériel électrique ou électronique. Quant à l’accès au savoir, le développement d’internet a redistribué les cartes. Des individus situés au quatre coins du globe se posent les mêmes questions au même moment et ensemble y apportent des réponses. Notre propos ne se veut pas béat – la révolution ne sera sans doute pas fablabisée – mais il semble évident que la philosophie du partage à l’œuvre dans le monde des fablabs et les capacités du médium internet dessinent de nouvelles hiérarchies entre novices, amateurs et spécialistes, horizontalisent les rapports et les modalités de la perception42, de l’enseignement et de l’apprentissage. Le Do It Yourself peut devenir un Do It Together. Des plateformes en ligne (et en langue anglaise) comme Instructables, Makezine ou IFixit produisent des guides pas à pas à même de guider le novice le moins expérimenté tandis que les services de crowdfunding (financement collectif de projet) offrent la possibilité aux projets les plus fous de se réaliser – pourvu que d’autres y adhérent.

De Castoriadis à Castorama, il n’y a qu’un pas43. Si le bricolage version fablab connaît un tel essor, la commercialisation du DIY en kit n’a jamais été aussi florissante. La maison Hermès se lance dans l’upcycling de luxe, Ikéa – degré zéro du DIY – se porte remarquablement et pour arriver à ses fins Castorama annonce la publication d’une base de données ouverte de ses notices, pièces, modèles 3D, etc. : « Pour arriver à ses fins, Castorama a choisi de raisonner non plus en termes de marché, fait de clients et de prospects, mais d’écosystème, fait d’artisans, de bricoleurs du dimanche, de passionnés du DIY, d’inventeurs, de collaborateurs et de partenaires 44 » Les grandes fêtes de la communauté (Maker faire45) sont aujourd’hui sponsorisées par Walt Disney ou par le DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency), l’agence de recherche du Pentagone. Ou l’étrange rencontre de Valérie Damidot, Pierre Bellemare, Terminator et Wikipédia.

Les tensions entre le marché et le hors-marché, entre le lo-tech et le hi-tech, entre l’industrie de l’innovation et l’économie de la contribution traversent de part en part le monde de la fabrication numérique. Et les pratiques artistiques ou graphiques qui s’en emparent n’échappent pas à la règle. Comme aux premiers temps du cinématographe, bien souvent, « le médium emporte tout46 ». À la fascination produite par l’exotisme de la technique, par le vertige technologique et sa « magie » succombent nombre d’artistes et de centres d’art, de designers et de commanditaires, et avec eux leur public.

Pour ne pas tomber dans ce piège, citons deux projets qui nouent un lien singulier aux « arts du faire » du XXIe siècle. Viktor est un robot dessinateur, conçu et développé par Jürg Lehni et Alex Rich, artistes et designers d’origine suisse. Constitué de quatre moteurs disposés aux angles d’un mur et de sangles l’y rattachant, Viktor reproduit dans la danse hasardeuse d’un fragile tracé de craie les modèles numériques fournis par l’ordinateur qui le contrôle ; l’automate opère ainsi une « transposition de l’imagerie de l’esprit au mur47 » à la croisée des chemins de l’art, du design et de l’ingénierie poétique.

L’image de meubles brûlés comme dernier recours face au froid en période de guerre a amené Helmut Smits à réaliser son projet FLAMMA48. FLAMMA est un « retour » à l’une des plus anciennes techniques humaines : allumer un feu. L’artiste (lui aussi designer) néerlandais retrouve les gestes paléolithiques en utilisant des objets achetés chez Ikea. Il documente l’action avec une ironie légère à travers des prises de vue à mi-chemin entre la très basse définition et l’objectivité publicitaire des catalogues du fabriquant suédois, dont le slogan « back to basics » reconquiert là un sens qui lui avait peut-être échappé.

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La complexification technique du monde, avec comme précieuses alliées les stratégies commerciales de propriétarisation, d’obsolescence programmée, d’obfuscation (parfois sous le prétexte de la simplification), produit une perte du savoir. Bernard Stiegler, revenant à l’étymologie de ce mot (sapere), montre comment face à la vie sans savoir et sans saveur à laquelle semble nous condamner la société post-industrielle nait un besoin de réappropriation de ces savoirs. Dans la société contemporaine ressurgit alors une figure de l’amateur – au sens ancien du terme ; celui qui aime, qui désire – qui remet en question cette prolétarisation49, cette hyper-professionnalisation et cette segmentation des savoirs. Cette nouvelle figure de l’amateur est au cœur d’une nouvelle économie, d’une autre industrie. Les conflits actuels autour de la propriété intellectuelle sont des conflits autour du monopole de l’accès au savoir (savoir-faire, savoir-vivre, et savoirs théorique). Le mouvement du libre et la pensée des communs font écho à l’attitude du bricoleur amateur, dans un monde où les objets dont il peut se saisir sont autant matériels qu’immatériels.

Michel de Certeau nous a montré que l’usager est un braconneur, mais dans cet espace qu’il ouvre à travers l’étude de l’usage, des nuances peuvent être soulevées. Nous emprunterons donc à la bien nommée sociologie des usages – dans les arcanes de laquelle on ne rentrerons pas en profondeur50 – le terme de pratique, qui permettra d’établir une échelle.

Usage et pratique s’articulent entre une offre technique et une demande sociale. C’est précisément cette articulation que Certeau analyse pour montrer comment le consommateur s’approprie – plus ou moins – les dispositifs. Cette relation est une médiation entre l’individu et la société, elle est le lieu de l’individuation51.

Le seul usage réduit l’individu à un statut d’utilisateur, un particulier parmi une foule d’autres particuliers. Les dispositifs numériques ont affiné leur perception de cette foule, qui n’est plus considérée comme une masse uniforme, mais qui se divise en niches, communautés ou groupes. Ces groupes restent malgré tout saisissables par une analyse statistique qui réduit ses membres à des données quantifiables. « L’utilisateur est tout autant sinon plus souvent utilisé par l’objet qu’il ne l’utilise lui-même52 ».

À l’inverse, la pratique suppose un geste d’appropriation de la part de l’individu qui en fait un être singulier. Quand l’usage use et consomme, la pratique produit. L’usage est de l’ordre du like sur facebook, la pratique du billet sur un blog.

Quand Richard Stallman quitte son emploi d’ingénieur informatique au MIT pour fonder la Free Software Foundation et se consacrer au développement du système d’exploitation libre GNU, il crée un point de divergence entre les partisans de l’usage et ceux de la pratique.

Confronté à l’impossibilité de faire fonctionner correctement l’imprimante dont il a la charge du fait de l’inaccessibilité du code source du logiciel qui la commande, il va s’employer à développer un système ouvert que chaque utilisateur puisse utiliser, étudier, modifier et redistribuer. Il formalisera cette approche en rédigeant la licence GPL (GNU public licence).

En permettant à chaque utilisateur de s’approprier, modifier, assembler, copier ou détourner des objets de la pensée, le développement du « libre » – né dans l’univers des logiciels mais s’étendant aujourd’hui progressivement à d’autres objets, culturels, artistiques ou même matériels – permet au bricoleur d’étendre à l’infini son « stock » et les moyens de son interaction avec lui.

Eric Raymond raconte son expérience du logiciel libre (ou open source)53 dans un livre devenu une référence du mouvement opensource et du logiciel libre, La Cathédrale et le Bazar54, compare et oppose deux modes de pensée et d’organisation ; celui de la cathédrale, pyramidal, hiérarchique et vertical, et celui du bazar, horizontal, « désordonné » (et effrayant à première vue), mais dont l’efficacité s’avère supérieure au premier de par sa capacité d’adaptation et de flexibilité. Linux, le système d’exploitation opensource fut conçu et développé par Linus Torvalds et des milliers de contributeurs sur ce modèle du bazar.

Torvalds a également créé le logiciel de gestion de versions Git, dont une des caractéristiques est de permettre aux contributeurs potentiels de s’approprier pleinement (fork) le code d’un logiciel, avant toute autre chose. Cette capacité d’appropriation préalable (on ne demande pas d’abord la permission) est un des aspects les plus marquants – et intellectuellement savoureux – de ce mode de développement ; il établit un système où l’autorité ne se maintient qu’en fonction de son intérêt pour la collectivité. Si un projet dévié (forked) plus intéressant que le projet source apparaît, c’est vers lui que se tourneront les autres contributeurs. 55

Transposer le bazar en une métaphore de l’atelier du bricoleur est audacieux, puisqu’il s’agit essentiellement chez Raymond d’une description des modes de collaboration au sein d’un projet. Mais le concept nous permet de comprendre la flexibilité qu’autorise l’appropriation libre, le jeu ouvert à tous et l’hypothèse préalable que tout (n’importe qui/quoi) « peut servir » s’il a le potentiel requis par le projet.

L’outil est le support et le vecteur de la relation entre l’individu et son environnement. Mais ce vecteur n’est pas neutre. La complexification technique des activités humaines, pour Marcuse ou Jacques Ellul, a rendu possible une autonomie du système technicien, qui bien qu’entretenant des interactions complexes avec le système capitaliste, est devenu à même d’imposer sa propre logique à tous les niveaux de l’existence humaine (dans le travail, bien sûr, mais également dans la constitution du tissu social et de la démocratie).

Cette critique radicale de la technique n’est pas partagée par Georges Simondon, qui élabore un discours plus nuancé. Pour lui, la technique incarne le lien fondamental, inventif, singulier, en évolution permanente, qu’élaborent les humains pour se relier au monde comme à eux-mêmes. Elle n’est donc « ni paradis ni enfer, mais mode d’existence essentiel de l’humanité56 ».

Ivan Illich esquisse une hypothèse ; il postule une technique qui ne se transformerait pas en un système technicien autonome, mais au contraire favoriserait l’autonomie de ses utilisateurs. Pour Illich, un outil convivial est « générateur d’efficience sans dégrader l’autonomie personnelle, il ne suscite ni esclave ni maître, il élargit le rayon d’action personnel. L’homme a besoin d’un outil avec lequel travailler, non d’un outillage qui travaille à sa place57 ».

L’essor des logiciels libres a littéralement fécondé le développement d’internet. Ils sont à la base de l’infrastructure et du fonctionnement du web et ont fourni aux artistes et aux designers qui en ont fait leur terrain de jeu des outils et des modèles qui leur permettent d’interroger la place de l’auteur, la collaboration et le partage.

Jouer

« Quel que soit le code hacké,
quelle que soit sa forme, langage programmatique ou poétique, mathématique ou musical, nous créons la possibilité de mettre au monde des formes nouvelles. Pas toujours de grandes choses, pas même de bonnes choses, mais de nouvelles choses. Arts, sciences, philosophie, culture : dans toute production de savoir dans laquelle
des données peuvent être accumulées, d’où l’information peut être extraite, dans laquelle cette information produit de nouvelles possibilités pour le monde, il y a des hackers qui libèrent les formes émergentes des formes classiques » McKenzie Wark, Un manifeste hacker

Jouer

Les origines de la culture hacker se situent dans les années 50 et 60, au Massachusetts Institute of technology. Selon Brian Harvey58, les étudiants du MIT se répartissaient alors selon deux attitudes, hackers et tools, les cancres et les premiers de la classe. Mais tout comme le niveau des notes hiérarchisait les tools, il existait une hiérarchie chez les hackers, qui se définissait selon la passion et le talent consacrés à leur hobby. Dans ce hobby le hacker déployait toute sa curiosité, toute son ingéniosité. « Quand il voit un objet qu’il ne connaît pas, un hacker ne se demande pas : qu’est-ce que c’est ? La question qu’il se pose, c’est : qu’est-ce que je peux faire avec ça ? 59 » Il s’agit de s’approprier ces objets, de les examiner, les comprendre pour en faire le matériau d’une inventivité : « J’aime bien prendre l’exemple des baguettes chinoises. A priori, ça sert à manger. Si tu en fais un truc pour tenir une lampe, tu les détournes de leur finalité d’origine. Eh bien voilà, tu as hacké une paire de baguettes chinoises 60 »

Brian Harvey, et à sa suite de nombreux membres de cette communauté disparate, insiste sur la dimension du jeu, entendu comme hobby, passion, mais aussi simple amusement. Harvey affirme que le positionnement initial du hacker est du côté de l’esthétique et pas de l’éthique, fut-elle devenue aujourd’hui une esthétique du Lulz 61.

Steven Levy a rassemblé sous le terme « éthique des hackers » 62 (qu’Harvey reformule en « esthétique des hackers ») un ensemble de pratiques qui définissent la philosophie du hacker : le partage des connaissances, le refus de l’autorité et la promotion de la décentralisation, le perfectionnisme, la primauté de la pratique (hands-on imperative), et le jeu, l’amusement comme première et principale motivation.

Richard Stallman, grand prophète barbu du logiciel libre et archétype du hacker de première génération, décrit la pratique du hacking comme celle d’une « intelligence espiègle 63 » Cette intelligence associe la ruse de la mètis au jeu derridéen. Elle accède à la connaissance par la pratique, par l’expérience, par la succession des échecs et des réussites.

Elle revendique également que le matériau dont elle se saisit (l’information, les données) soit libre. Elle cherche à le libérer, par des moyens légaux (production de savoir, partage des connaissances, logiciel libre) ou illégaux (Wikileaks en est un des exemples les plus visibles, et son illégalité est à relativiser). Le groupe Telecomix définit ainsi sa position par rapport à l’information, aux données : « Les données sont essentielles / Les données doivent circuler / Les données doivent être utilisées / Les données ne sont ni bonnes, ni mauvaises / Il n’y a pas de données illégales / Les données sont libres / Les données ne peuvent être possédées / Aucun homme, machine ou système ne doit interrompre le flux de données / Verrouiller les données est un crime contre la datanité »64

Funambule des systèmes informatiques et des réseaux, le hacker est un bricoleur hédoniste, dont les motivations sont aussi nombreuses et protéiformes que sa dénomination est polysémique. Pirates ou crackers délinquants du blockbuster en DivX, spammers vendeurs de Vi@gra, phreakers des réseaux téléphoniques et des modems analogiques, 4channers juvéniles, hacktivistes anonymes de Lulzsec ou Telecomix, grands-pères du Chaos Computer Club (CCC), ces icônes contemporaines du bricolage numérique façonnent un mythe souterrain du net dont les effets sont pourtant bien réels : le spam représente plus de 70 % du trafic e-mail mondial, et occasionne un coût financier phénoménal aux acteurs économiques. Les attaques d’Anonymous contre quelques grands acteurs financiers (Paypal par exemple) ont également engendré de sérieuses « pertes ». Sur le plan géopolitique, les publications de Wikileaks (Warlogs65), les fuites d’informations mettant au grand jour l’existence de systèmes de surveillance généralisés tels PRISM, ou les actions de Telecomix dans les pays arabes (OpSyria66) ont un impact bien tangible sur les équilibres diplomatiques mondiaux ou sur la vie des militants égyptiens ou syriens.

Les crackers dévérouillent les protections logicielles, piratent les produits des industries culturelles. Les spammers envoient des millions de mails à peu de frais, comptant sur l’existence d’un ou deux imbéciles parmi les destinataires de leurs messages afin de gagner quelques dollars (beaucoup parfois). Les phreakers sont spécialisés dans les communications téléphoniques, à des fins d’écoute ou de non paiement de leurs communications. 4chan est un forum foutraque fréquenté par de jeunes adolescents hyperconnectés, berceau des anonymous. Lulzsec est un collectif de « hackers pour le fun » issu d’anonymous, aujourd’hui plus ou moins dissous, dont la devise était « leader mondial du divertissement à vos dépens ». Telecomix, « (…) a set of principles for political disorganization, that may or may not work », est un collectif décentralisé très actif sur le front des révolutions arabes, engagé par exemple sur le contournement des blocages de l’internet ou l’aide à l’anonymisation des communications électroniques des militants locaux. Quant au Chaos Computer Club c’est un des tout premiers collectifs de hackers européen, fondé à Berlin en 1980, influent et respecté par l’ensemble de la communauté.

Le hacking est bien une forme de résistance tactique et rusée à l’hétéronomie qui se déploie au sein des systèmes informatiques. Il est entré en résonance avec de nombreuses problématiques politiques contemporaines : la question de la transparence, de la surveillance, les mouvements des indignés, ou d’Occupy, les partis pirates, les réflexions sur la propriété intellectuelle et le droit international. Son impact sur les changements de régime politique dans les pays arabes fut bien réel bien que sa mesure reste à évaluer. Et bien que l’on puisse constater l’omniprésence des dispositifs informatiques dans la vie quotidienne, la valeur politique du hacking reste sans doute confinée au cadre dans lequel elle est agissante.

Depuis les balbutiements du net jusqu’aux sous-cultures étranges qui se déplacent d’un espace du web à un autre, le hacking a produit un imaginaire dont l’art s’est saisi de multiples manières. Depuis les pionniers du net art, nombre d’artistes ont investi l’esthétique du bug, de l’infection et de la contamination. Les travaux de Jodi (url#27), mettent en scène le vocabulaire vernaculaire du web (éléments de formulaire, ascenseurs, icônes) et interviennent sur le registre de l’altération, rendant visible le code, générant des erreurs, affichant des commandes contradictoires. Le Netomat (url#28) de Maciej Winiewski ou le Shredder (url#29) de Mark Napier ont été des figures emblématiques de cette esthétique de l’incontrôlable67.

Dans le champ du design, le collectif Hi-Res s’emparera de cette esthétique pour produire des « sites », notamment pour les films Donnie Darko (url#30), ou Requiem for a Dream (url#31), transposant la narration cinématographique dans des expériences de navigation aléatoires, laissant le visiteur sans repère.

Le travail de Jacques Perconte se développe depuis les années 90 ; tout à la fois peintre, poète et cinéaste du numérique, son travail se déploie aujourd’hui dans le champ vidéo au cours de longs mouvements dans lesquels des fresques numériques issues de la compression video (glitch) traversent les textures du paysage.

L’interventionnisme urbain du Graffiti Research Lab (url#32) se manifeste sur un mode parallèle à celui de leurs voisins berlinois du CCC, utilisant des lasers pour projeter leurs tags géants sur des immeubles éloignés, diffusant leurs outils en opensource, créant des sections locales aux quatre coins du monde.

Conclusion

« Toute technologie suffisamment avancée
est indiscernable
de la magie » Arthur C. Clarke

L’avancée exponentielle des frontières externes et internes de la technosphère, son impact toujours plus grand sur nos fonctionnements individuels et collectifs, ajoutée au sentiment de l’inexorabilité de son développement, provoque fréquemment le recours à une forme de pensée magique. Nous dotons les objets technologiques qui nous entourent – que nous les pratiquions ou les subissions –, de propriétés surnaturelles, de pouvoirs occultes et nous cherchons à les contrôler à coups d’imprécations, de prières ou d’incantations. Ainsi naissent de nouveaux cultes du cargo, gestes bizarres et attitudes irrationnelles qui nous permettent de faire face à l’inconnu technologique.

Le bricoleur numérique examine le chapeau du magicien, inspecte son double-fond et se demande si plutôt qu’un lapin, il ne pourrait pas en extraire un autobus. Il entretient un rapport au monde fait de jeu et d’insatiable curiosité. Son bricolage est une sérendipité volontaire. Il provoque les accidents, les juxtapositions hasardeuses et créatives. Il cherche dans la surprise d’un assemblage inédit un sens nouveau. Il autorise effectivement « la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie68 ».
Il s’engage sur des chemins de désir, cherche des biais, des tangentes. C’est une lutte, un combat de l’intérieur contre l’extérieur. Contre. C’est une opposition en même temps qu’une proximité.

Son mode d’appropriation des objets est fondé sur la manipulation, celle de la main comme celle de l’esprit, un intellect du bout des doigts, une préhension faite à la fois de mise à distance et d’intériorisation. Se les appropriant, il tord leurs usages préétablis, il refuse ou néglige le caractère péremptoire du réel.
Il restitue au monde une plasticité, une indéfinition.

Dans les flux et les reflux du réseau, les designers et les artistes ont la possibilité de se saisir de cet informe pour, précisément, lui donner forme. À des fins d’élucidation, d’explicitation, ou au contraire pour brouiller les pistes, inventer de nouvelles relations, provoquer de nouveaux accidents. Leur attitude peut s’éloigner d’une simple adhésion, d’un usage, aussi savant et esthétique fut-il pour rejoindre peut-être celle du bricoleur.

Bibliographie

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url#18 — Benjamin Menant
blog.menant-benjamin.fr

url#19 — Bernard Stiegler, « Chute et élévation », Revue philosophique de la France et de l’étranger 3/ 2006 (Tome 131), p. 325–341
cairn.info/revue-philosophique-2006–3-page-325.htm

url#20 — Philippe  Aigrain, Cause commune : l’information entre bien commun et propriété, Paris, Fayard, 2005,
grit-transversales.org/img/pdf/Causecommune-CC-By-NC-ND.pdf

url#21 — Eric S. Raymond, Bob Young, La Cathédrale et le Bazar, O’Reilly, 2001
linux-france.org/article/these/cathedrale-bazar/

url#22 — Comment LibreOffice s’est détaché d’OpenOffice
fr.wikipedia.org/wiki/LibreOffice

url#23 — Émancipation politique et citoyenne
fr.wikipedia.org/wiki/P%C3%A9dagogie_Freinet

url#24 — Kwame Yamgnane, cofondateur et DGA de l’Ecole 42
youtu.be/NDAmS4O6uRE?t=56

url#25 — Graffiti Research Lab fr, DEad Minitel Orchestra
graffitiresearchlab.fr/DeMO/la-gaite-lyrique-12042014/

url#26 — Alexandre G. Raymond, The lost image
lorem.ndre.gr

url#27 — Jodi
wwwwwwwww.jodi.org

url#28 — Maciej Winiewski, Netomat
rhizome.org/art/artbase/artwork/netomat

url#29 — Mark Napier, Shredder
potatoland.org/shredder

url#30 — Hi Res, Donnie Darko
archive.hi-res.net/donniedarko

url#31 — Hi Res, Requiem for a Dream
archive.hi-res.net/requiem

url#32 — Graffiti Research Lab
graffitiresearchlab.com/blog

url#33 — datalove.me

url#34 — Reflets.info, #OpSyria : quand Bachar el-Assad coupait Internet et le reste…
reflets.info/articles/opsyria-quand-bachar-el-assad-coupait-internet-et-le-reste

url#35 — Jean-Paul Fourmentraux, « L’Internet militant. Retour sur une décennie d’actions artistique, 1995–2005 », Mouvements 1/2007 (no 49)
http://www.cairn.info/revue-mouvements-2007–1-page-137.htm

Remerciements

Remerciements

Mes remerciements vont à Claire, Jean-Marc, Quentin, Monique, Anne-Marie, Suzanne, Jacques Perconte, Anthony Mazure, Jean-Vincent Holeindre, ceux et celles, proches ou lointains, passés ou présents avec qui l’on bricole les formes de nos vies.

Article rédigé en soutien de la présentation du DNSEP (VAE) à l’École supérieure d’art et de design du Havre en 2014, recomposé en 2022 pour expérimenter l’extensibilité de PageTypeToPrint, gabarit destiné à la mise en forme normalisée d’un document écrit de DNA ou d’un mémoire de DNSEP pour l’École supérieure d’art et de design des Pyrénées.


  1. Claude Lévi-Strauss, La pensée sauvage, Paris, Plon, 1962, p. 31. ↩︎

  2. Ibid. p.21 ↩︎

  3. Ibid. p.27 ↩︎

  4. Ibid. p. 35 ↩︎

  5. Michel de Certeau, L’invention du quotidien, tome 1 : Arts de faire, Gallimard, 1990, p. XXXIX ↩︎

  6. Ibid. p. 55. ↩︎

  7. Marcel Detienne et Jean-Pierre Vernant, Les ruses de l’intelligence : La mètis des Grecs, Paris, Flammarion, coll. « Champs Essai », 2009. ↩︎

  8. Michel de Certeau,
    op. cit., p. 59. ↩︎

  9. Ibid. p. 60. ↩︎

  10. Le dieu grec Kairos est représenté par un jeune homme qui ne porte qu’une touffe de cheveux sur la tête. Quand il passe à notre portée, on peut ne pas le voir, ou bien le voir et ne rien faire, ou bien tendre la main pour saisir ses cheveux et saisir ainsi l’opportunité. Employé comme substantif, il désigne cette aptitude à saisir l’occasion opportune. ↩︎

  11. Ibid., p. 65. ↩︎

  12. Roland Barthes,
    « La cuisine du sens », dans L’Aventure sémiologique, Seuil, Paris, 1985, p. 228 ↩︎

  13. Claude Lévi-Strauss, op. cit. p. 33 ↩︎

  14. Jacques Derrida, L’écriture et la différence,
    Paris, Seuil, 1967 ↩︎

  15. Claude Lévi-Strauss, op. cit., p. 33 ↩︎

  16. Ibid, p. 33 ↩︎

  17. Roland Barthes, Leçon (texte de la leçon prononcée le 7 janvier 1977), Paris,
    Seuil, 1989 ↩︎

  18. Vincent Perrottet, texte téléchargé le 31 mai 2011, disponible en ligne (url#4) ↩︎

  19. Nicolas Bourriaud, « Sous la pluie culturelle », Sonic Process, une nouvelle géographie des sons, Paris, Éditions du Centre Pompidou, 2002. ↩︎

  20. Anna Dezeuze, Assemblage, bricolage and the practice of everyday life, Art journal, Vol. 67, New-York, College Art Association, 2008. ↩︎

  21. Yann Beauvais et Jean-Michel Bouhours, Monter/Sampler : l’échantillonnage généralisé, Éditions du Centre Pompidou, Paris, 2000. ↩︎

  22. François Bayle, L’Expérience acoustique, quatorze mouvements, regroupés en cinq chapitres, composés de 1966 à 1972, Recollection GRM, 2013. ↩︎

  23. Benoit Berthou, Les moyens du bord, Art contemporain et bricolage, Centre d’Études sur l’Actuel et le Quotidien, texte consulté le 16 août 2014, (url#5). ↩︎

  24. Mark Dery, Culture Jamming: Hacking, Slashing, and Sniping in the Empire of Signs, Shovelware, 2010. ↩︎

  25. « Ma petite entreprise », entretien de Claude Closky avec Olivier Zahm, Purple Prose, n°7, septembre 1995, pp. 24–27. ↩︎

  26. Herbert Marcuse, L’Homme unidimensionnel, Essai sur l’idéologie de la société avancée (Beacon Press, 1964), traduction de Monique Wittig, Paris, Éditions de Minuit, 1968. ↩︎

  27. Robert Filliou, Génie sans talent, dossier produit par le Musée d’art moderne de Lille Métropole à l’occasion d’une exposition retrospective en 2003/2004. ↩︎

  28. Giorgio Agamben, Qu’est-ce qu’un dispositif ?, traduit par Martin Rueff, Paris, Payot & Rivages, 2007. ↩︎

  29. Ibid. ↩︎

  30. Féconde à bien des égards, cette vision n’en est pas moins critiquable : Claude Grignon et Jean-Claude Passeron (Le savant et le populaire. Misérabilisme et populisme en sociologie et en littérature, Paris, Seuil, 1989), tout en s’accordant par exemple avec Certeau sur la dénonciation d’un certain misérabilisme déterministe chez Bourdieu, critiqueront ainsi une forme de fascination condescendante qu’a de Certeau vis à vis de la culture populaire, oubliant (ou faisant mine d’oublier) les réalités de la domi­nation exercée sur elle. ↩︎

  31. La pensée d’un bricolage du quotidien issue de Michel de Certeau est à la base de l’esthétique relationnelle de Nicolas Bourriaud qui décrit un art qui prend pour cadre la sphère des relations humaines et s’attache à des « pratiques de bricolage et de recyclage du donné culturel », Nicolas Bourriaud, L’esthétique relationnelle, Dijon, Les Presses du réel, 1998. ↩︎

  32. Cf. Anna Dezeuze, url#6. ↩︎

  33. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d’autonomie, Paris, éd. Michalon 2000, p. 60 ↩︎

  34. Contraction de l’anglais fabrication laboratory, « laboratoire de fabrication » ↩︎

  35. Étienne Delprat (coord.), Système DIY, Faire soi-même à l’ère du 2.0, Paris, Éditions Alternatives, 2013 ↩︎

  36. Publié régulièrement jusqu’en 1972 puis de manière plus épisodique jusqu’en 1998, sa popularité s’est rapidement étendue, traversant l’Atlantique pour trouver un équivalent français dans le Catalogue des ressources, publié aux Éditions Alternatives. ↩︎

  37. Fred Turner, From Counterculture to Cyberculture: Stewart Brand, the Whole Earth Network, and the Rise of Digital Utopianism, University of Chicago Press, 2006 ↩︎

  38. Stéphanie Lemoine et Samira Ouardi, Artivisme : art, action politique et résistance culturelle, Paris, Éditions Alternatives, 2010. ↩︎

  39. Le site wiki.fablab.is (url#7) tient à jour une liste des fablabs ayant adhéré à la charte des fablabs, mise en place par le MIT. Si 320 sont listés au 22 août 2014, un nombre considérables d’initiatives de par le monde peuvent être associés à ce mouvement, la certification MIT n’étant pas le principal intérêt de tels lieux ↩︎

  40. Le surcyclage (upcycling en anglais) est l’action de récupérer des matériaux ou des produits dont on a plus l’usage afin de les transformer en matériaux ou produits de qualité ou d’utilité supérieure. On recycle donc « par le haut » (up en anglais) url#8 ↩︎

  41. Victor Lebow, The Real Meaning of Consumer Demand, Journal of Retailing, 1955 ↩︎

  42. Lire à ce sujet l’essai de Stéphane Vial, L’être et l’écran, (Parif, PUF, 2013) dans lequel l’auteur analyse les modifications que le numérique produit sur nos systèmes perceptifs, et où il tente de répondre à la question « de quoi la révolution numérique est elle la révolution » ↩︎

  43. Aude Vidal, Do-it-yourself : le projet d’autonomie de Castoriadis à Castorama (url#9) ↩︎

  44. Mots prononcés par Véronique Laury, PDG de Castorama, lors de l’édition 2014 du festival OuiShareFest ↩︎

  45. La Maker Faire est un événement mondial et itinérant créé par le magazine américain Make. Il s’agit du plus grand mouvement au monde regroupant ateliers, présentations et conférences autour des thèmes de la créativité, de la fabrication et des cultures Do it yourself et maker. — url#10 ↩︎

  46. Quentin Armand, Magna carta nec mergitur incognita, 2014. ↩︎

  47. Jürg Lehni & Alex Rich, Things to Say (Viktor), Zurich, 2010 ↩︎

  48. Helmut Smits, FLAMMA (A Basic Need), 2008 (url#11) ↩︎

  49. « La prolétarisation est, d’une manière générale, ce qui consiste à priver un sujet (producteur, consommateur, concepteur) de ses savoirs (savoir-faire, savoir-vivre, savoir concevoir et théoriser). » Bernard Stiegler, Ars Industrialis, page consultée le 22 août 2014, (url#17) ↩︎

  50. Voir le remarquable travail de Benjamin Menant sur la distinction entre usages et pratiques numériques : url#18 ↩︎

  51. Bernard Stiegler, « Chute et élévation », Revue philosophique de la France et de l’étranger 3/ 2006 (Tome 131), p. 325–341, consulté en ligne sur cairn.info (url#19) ↩︎

  52. Philippe  Aigrain, Cause commune : l’information entre bien commun et propriété, Paris, Fayard, 2005, disponible en ligne sous licence Creative commons (url#20) ↩︎

  53. Une controverse existe entre les partisans du logiciel libre et ceux de l’open source. Bien que très proches dans leurs effets, ces deux conceptions diffèrent dans leurs visions : le logiciel libre a défini des règles sur des principes éthiques et philosophiques, l’open source (qui en découle) en a proposé une traduction fonctionnelle, dans laquelle l’éthique n’est pas un enjeu. ↩︎

  54. Eric S. Raymond, Bob Young, La Cathédrale et le Bazar, O’Reilly, 2001, traduit par Sébastien Blondeel et disponible sur linux-france.org (url#21) ↩︎

  55. Lire à ce propos comment LibreOffice s’est détaché d’OpenOffice (url#22) ↩︎

  56. Gilbert Simondon, Sur la technique,
    Paris : PUF, 2014 ↩︎

  57. Ivan Illich, La convivialité, Paris: Seuil,
    Points Essais, 2003 (1re éd : 1973) ↩︎

  58. Brian Harvey, What is a Hacker?, University of California, Berkeley, 1985. ↩︎

  59. Anaelle Guitton, Hackers : Au cœur de la résistance numérique, Paris, Au Diable Vauvert, 2013 ↩︎

  60. Ibid. ↩︎

  61. L’expression, initialement pluriel de l’interjection LOL s’est transformée pour souligner un humour cynique, bête et méchant. ↩︎

  62. Steven Levy, Hackers: Heroes of the Computer Revolution, 1984 ↩︎

  63. « playfull cleverness » ↩︎

  64. Texte issu de la traduction en français du site datalove.me url#33. Page visitée le 19 août 2014. ↩︎

  65. Le terme War Logs (« journaux de la guerre ») désigne un ensemble de journaux internes à l’armée des États-Unis qui documentent les guerres en Afghanistan et en Irak entre 2004 et 2009. Ils furent rendus publics par WikiLeaks et analysés par différents organes de presse (The Guardian, The New York Times et Der Spiegel, + Owni). ↩︎

  66. Lire sur le site Reflets (url#34) ↩︎

  67. Jean-Paul Fourmentraux, « L’Internet militant. Retour sur une décennie d’actions artistique, 1995–2005 », Mouvements 1/2007 (no 49) , p. 137–143, cairn.info (url#35) ↩︎

  68. Isidore Ducasse, comte de Lautréamont, Les Chants de Maldoror, 1869. ↩︎